PYE MARLOT
LE SILENCE ET L'OUBLI
LE COULOIR
PYE MARLOT

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Un enfant entre sept et dix ans, qui mesurerait moins d’un mètre cinquante, compterait cent soixante-dix-huit pas en long et seize en large, dénombrerait quatre mille quatre-cents carreaux de vingt centimètres sur vingt centimètres parterre, douze néons au plafond et une seule fenêtre — un petit carré de lumière qui s’ouvre sur un jardin à la française démodé, triste horizon de ce long couloir qui dessert dix-huit chambres toutes étroites et toutes pareilles.
L’enfant devinerait tout de suite qu’il n’est pas dans un hôtel : il n’y a pas de jolies poignées en laiton aux portes, pas de moquettes moelleuses au sol, pas d’éclairage tamisé au-dessus des tableaux.
En regardant de plus près les reproductions des paysages printaniers accrochées aux murs, il comprendrait qu’ici, dans ce couloir, on ne se soucie guère du talent du peintre. Ce qui importe, c’est la couleur : chatoyante, criarde, tapageuse. L’enfant saurait qu’il n’est pas non plus dans un musée.
Il aura peut-être senti cette odeur. Blanche. Faussement neutre. Aseptisée. Cette odeur que l’on ne sent que dans les salles d’attente des médecins, les pharmacies et les morgues.
Il aura sans doute remarqué la lumière (légèrement verte), le silence (légèrement bleu), l’air (profondément sombre). Irrespirable, et pourtant sain. Absolument pur.
L’air s’est épaissi dans ce couloir. Il y pèse de tout son poids. Statique. Figé. Il semble suspendu dans l’espace comme dans le temps. Du temps, ce couloir en déborde, en dégueule. Car derrière les portes de ces chambres, toutes étroites et toutes pareilles, les occupants attendent. Chacun quelque chose. Chacun quelqu’un.
Sans le savoir, sans même en avoir conscience (que sait-on vraiment à sept ou dix ans ?), ce sont les minutes, les heures, les jours, les mois, les années de ceux qui attendent que l’enfant compte, et non les carreaux trop lustrés, trop propres du couloir de l’hôpital.