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L'AUTOCAR

PYE MARLOT

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Le silence et l’oubli font partie du jeu.

 

Parfois, dans notre vie, il y a des souvenirs que l’on enferme dans une boite et après on n’y pense plus. Puis, ils reviennent. Longtemps après. Légèrement différents. Ils réapparaissent et semblent déguisés, mais au fond ce sont eux, ce sont ces mêmes souvenirs que l’on a voulu oublier. 

 

Quand on claque une porte ici, on ouvre une fenêtre ailleurs : c’est le jeu vicieux d’Eole et des courants d’air.

 

Souvent, il y a des gens que l’on enterre, dans une boite, dans un cimetière, et après on n’y pense plus. Puis, ils reviennent, comme toutes ces choses que nous avons rejetées. Longtemps après. Eux aussi légèrement différents. Ils réapparaissent et ils portent des masques, mais au fond ce sont eux, ce sont ces mêmes gens que nous avons enseveli sous la terre. 

 

Et chaque soir, on ferme les yeux et on s’endort. Les paupières closes sur le monde. On ferme les yeux sur le jour qui vient de s’achever comme on a fermé les yeux sur nos secrets. Ou les réalités que nous n’avons pas voulu voir. En toute innocence. En toute feinte. On s’endort comme un enfant menteur. Et l’on s’enfonce dans le plus sombre des sommeils et le plus profond des songes. On rêve d’une boite qui contient une boite qui elle-même contient une boite. Des boites toutes pareilles. Des boites qu’on se garde bien d’ouvrir. On dort pour reposer notre corps. Le cerveau se délasse, les muscles se détendent mais l’âme ne se purge pas. Puis un jour, on se réveille comme frappé par la foudre. Les yeux cernés, la bouche pâteuse, la poitrine en feu. Le coeur veut exploser. Les boites se sont ouvertes et les mystères qu’elles contenaient ont été éjectés comme des diables à ressorts. Les squelettes sont sortis de leur placard et nous regardent droit dans les yeux et on ne peut faire autrement que de fixer leurs orbites vides. Le monde devient une nécropole peuplée de fantômes et on est écrasés par la peur à en chier dans notre froc, on voudrait hurler à s’en faire péter la poitrine, à s’en arracher les côtes une par une. Notre propre sang est un poison, nos veines mêmes deviennent douloureuses. Dans l’urgence, il ne nous reste alors que peu d’options : absorber une dose prescrite de benzodiazépines à heure fixe ou sauter lâchement dans l’abîme à pieds joints.

 

Et tout ça, à cause d’un glacial mercredi de janvier, 6h du matin, où un autocar de la compagnie Eurolines, reliant Paris à Porto, a quitté la route et s’est précipité dans un ravin, faisant neuf morts, dix-sept blessés graves et quelques survivants, dont un français de vingt-et-un ans. 

 

© 2015 par Pye Marlot. 

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