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L'ETOILE NOIRE

PYE MARLOT

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Je marche dans la rue, simple badaud parmi les badauds. Banal, anonyme. Un type ordinaire. Je suis comme des milliers d’autres. Du lichen sur le tronc d’un arbre.

 

Pourtant, je marche comme tous les autres, partout dans les rues, partout dans la ville. Sans souplesse, sans mollesse.

 

Oui, je marche et j’avance, mais cela pourrait tout aussi bien être le monde qui recule. Les devantures criardes des magasins, les immeubles aux façades noircies, les lampadaires éteints, les poubelles qui débordent, les promeneurs nonchalants, les hommes pressés, les femmes coquettes, les racoleuses trop fardées : toutes et tous projetés en arrière. Par une force invisible. Par une énergie inconnue. Tout ce décor autour de moi finit par ressembler à un faisceau de lumière floue, à une bande monotone, à la pellicule d’un film. Je suis immobile, planté là, et c’est la rue qui défile, la ville entière qui se rembobine. Les passants, les objets, les événements, le temps passent à travers mon corps inerte. La réalité glisse sur ma peau comme un courant d’air, un vent léger mais glacial. Je devrais en avoir la chair de poule mais je ne me sens plus au centre de rien, je ne me sens plus ancré dans quoi que ce soit. Je suis naufragé. Et seul, désespérément seul. 

 

J’ai l’impression que la Terre s’est mise à tourner à l’envers et que je suis le premier à m’en rendre compte et qu’aucun autre être humain ne l’a remarqué — ou que le reste de l’univers n’en a rien à foutre. Car cette planète est finalement sans importance, sans conséquence parmi la multitude de galaxies. 

 

Je me sens alors si petit, si minime que ma poitrine s’étreint sur elle-même et se creuse. Mes os, mes côtes, mon sternum se consument. Un trou béant s’ouvre à la place de mon thorax. Là où il devrait y avoir un coeur drainant du sang, là où il devrait y avoir de la vie, il n’y a qu’un vide. Un vide qui s’étend, se répand, se dilate. Qui se nourrit de tout, absorbe tout, ravage tout. 

 

Les physiciens nous disent que lorsqu’une étoile meurt, elle laisse à sa place un trou noir. Son champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. C’est une force obscure, aspirante, qui se concentre tellement sur elle-même qu’elle s’auto-détruit et que la lumière même n’est plus.  

 

© 2015 par Pye Marlot. 

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